Temps de lecture : 7 min
Les sociétés sont régulièrement confrontées à la problématique des factures en souffrance à la clôture de l’exercice comptable, un enjeu aux répercussions fiscales significatives. De facto, ces créances sont classifiées en tant que produits imposables, malgré l’absence de paiement effectif de la part des débiteurs. Cette circonstance contraint l’organisation à s’acquitter de taxes sur des revenus non réalisés.
Néanmoins, il est envisageable de moduler la charge fiscale afférente à ces créances irrécouvrables. Une méthode couramment adoptée consiste à déduire ces montants du résultat imposable.
Dans le cadre de cet article, Recouvéo vous guide à travers le processus approprié pour cette démarche. En outre, il sera expliqué en quoi cette opération contribue à une appréciation plus exacte de la situation financière de l’entreprise.
Créances clients : de la dépréciation à la constatation en perte
La déduction fiscale des produits irrécouvrables est possible dans un contexte précis. Concrètement, des conditions préalables de fond et de forme doivent être réunies :
- La créance est comptabilisée au titre de l’exercice au cours duquel elle est devenue certaine.
- La créance résulte de l’activité normale de l’entreprise
- Chaque créance est documentée et justifiée pour chaque exercice comptable
Ainsi, la jurisprudence en la matière applique strictement ces principes.
Le Conseil d’État a ainsi jugé que la provision constituée par une entreprise en vue de faire face au risque de non recouvrement d’une créance ne saurait être admise en déduction des bénéfices imposables dès lors que la créance dont il s’agit n’était justifiée ni dans son principe ni dans sa quotité et ne pouvait, en conséquence, être regardée comme un élément d’actif dont la disparition entraînerait une perte (CE, arrêt du 20 février 1957, n° 24388).
Source : Bulletin Officiel des Finances Publiques – Impôts (BOFIP)
La Haute Assemblée a considéré de même que des créances inexistantes ou incertaines dans leur existence ou leur montant ne peuvent faire légalement l’objet de provisions (CE, arrêt du 18 juin 1975, n° 93550).
Il a également été jugé, par ailleurs, qu’une entreprise ne peut constituer de provisions pour des créances qu’elle a renoncé à recouvrer avant l’ouverture de l’exercice et qu’elle a maintenues à son actif par une écriture délibérément irrégulière ; elle ne peut davantage constater par voie de provision le paiement de dettes nées avant l’ouverture de l’exercice (CE, arrêt du 9 octobre 1981, n° 19617).
Comprendre la dépréciation d’une créance : ajustement et implications fiscales
Au moment de la clôture de l’exercice comptable, on évalue la dépréciation d’un actif, c’est-à-dire sa diminution de valeur. En d’autres termes, elle équivaut à la quote-part de créances que la structure est susceptible de ne pas récupérer.
En se basant sur cet élément, il est possible de déprécier totalement ou partiellement le montant hors taxes. L’objectif est alors de l’aligner sur ce qui sera probablement perçu.
Il appartient à l’entreprise de préciser quelles sont les créances concernées par ces opérations spécifiques. Ces dernières se matérialisent par le passage d’écritures de deux types :
- Provision pour créance litigieuse : lorsqu’un client conteste une facture
- Provision pour créance douteuse : lorsque qu’un partenaire d’affaires présente des difficultés financières et/ou se trouve en situation de procédure collective
Identification et traitement fiscal des actifs irrécouvrables
Au-delà de la dépréciation, lorsque le risque de non-recouvrement est particulièrement avéré, la créance est considérée comme définitivement irrécouvrable. Ce statut est justifié par l’ensemble des circonstances et des actions menées en vue de parvenir au recouvrement de la créance.
Les éléments suivants sont notamment pris en compte :
- Historique des démarches engagées
- Copie des échanges postaux, courriels, SMS envoyés/reçus
- Compte-rendu des discussions et/ou des visites domiciliaires
- Analyse des contestations émises par le client, le cas échéant
- Documents financiers ou autres attestant de ses difficultés économiques – comptes annuels, liasse fiscale, extrait K-Bis, état des inscriptions de privilèges et nantissement obtenu auprès du greffe du tribunal de commerce
- Toutes pièces utiles à la bonne compréhension de la situation
Les processus d’irrécouvrabilité se matérialisent par des opérations de débit du compte 411 et de crédit du compte 416.
Toutefois, une action de recouvrement n’aboutissant à aucun résultat ne peut pas à lui seul conférer le caractère irrécouvrable d’une créance. Voici deux exemples pour illustrer ce principe.
Exemple n° 1
Une société a fourni un service à une autre entité. Après des désaccords sur la qualité de la prestation, le client refuse de payer la facture malgré des tentatives amiables de médiation et de négociation. La société de services choisit donc de porter l’affaire en justice.
Après plusieurs mois de procédure, le tribunal tranche en sa faveur, mais le client fait appel. À la suite de plusieurs années de litige, les frais juridiques dépassent largement le montant dû, ce qui rend le recouvrement économiquement impossible. La créance est alors considérée comme irrécouvrable.
Exemple n°2
Un e-commerce a vendu des produits à une société. Malgré plusieurs rappels et mises en demeure, cette dernière n’a toujours pas réglé sa facture. Après avoir engagé une procédure contentieuse, l’entreprise de vente en ligne obtient une décision de justice en sa faveur.
Dans le même temps, elle découvre que son client a fait l’objet d’une liquidation judiciaire. Dans ce cas, la créance est considérée comme irrécouvrable.
La documentation des créances irrécouvrables est un point cardinal à ne pas négliger, afin d’éviter toute situation de redressement fiscal.
Le Conseil d’État a estimé à cet égard qu’une entreprise n’est pas fondée à demander la déduction de ses bénéfices de provisions destinées à couvrir le risque général de non recouvrement de l’ensemble de ses créances (CE, arrêt du 26 novembre 1945, n° 72282).
Source : Bulletin Officiel des Finances Publiques – Impôts (BOFIP)
De même manière, il a été jugé que la provision constituée en vue de faire face au risque de non recouvrement des créances ne peut être admise en déduction des bénéfices imposables dès lors que, calculée en appliquant un pourcentage arbitrairement fixé au montant total des créances à recouvrer, elle n’a pas été déterminée en fonction des seules créances dont des événements précis survenus en cours d’exercice permettaient de considérer le recouvrement comme douteux (CE, arrêt du 9 avril 1956, n° 25244 ; CE, arrêt du 18 juin 1975, n° 93550 et CE, arrêt du 22 juin 1984, n° 37280).
Par ailleurs, le Conseil d’État a jugé qu’une provision ne doit pas être déterminée en appliquant un pourcentage arbitrairement fixé au montant du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise alors même que le total des pertes réellement subies se serait révélé, par la suite, supérieur à la provision litigieuse (CE, arrêt du 20 décembre 1963, n° 55596) ou au montant total des créances à recouvrer (CE, arrêt du 8 mars 1957, n° 38977 et 38978).
Fiscalité des créances irrécouvrables : Enjeux & Solutions
Dès lors, il est essentiel de savoir comment appréhender les complexités et les stratégies entourant la fiscalité des créances irrécouvrables.
Déduction du produit imposable : comment optimiser le traitement fiscal et comptable des créances irrécouvrables
Les créances comptablement irrécouvrables permettent d’accéder d’une part à la déduction du produit imposable pour l’exercice fiscal concerné. Les montants des provisions constituées pour créance litigieuse et pour créance douteuse constituent une franchise d’impôt. Toutefois, ces provisions ne doivent pas excéder le montant de la créance ou de la portion jugée irrécouvrable.
L’entreprise procèdera au passage des écritures comptables suivantes :
- Débit du compte 654 « Pertes sur créances irrécouvrables », pour le montant HT de la créance irrécouvrable,
- Débit du compte 44 571 « TVA collectée », pour le montant de la TVA,
- Crédit du compte 416 « Clients douteux », pour le montant TTC de la créance irrécouvrable.
Le cas échéant, l’entreprise annule comptablement la provision pour créances douteuses. L’opération consiste à débiter le compte 491 « Provisions pour dépréciation des comptes clients » et créditer le compte 78174 « Reprises sur provisions pour dépréciation des créances ».
Important : les créances libellées en monnaies étrangères sont impérativement converties en euros au visa de l’article L. 123-22 du code de commerce. Elles devront faire l’objet d’une estimation à la clôture de chaque exercice d’après le cours des changes à cette date.
Comment récupérer la TVA sur les créances irrécouvrables ?
D’autre part, les créances comptablement irrécouvrables octroient le droit de récupérer la TVA associée au visa de l’article 272 du code général des impôts.
Le premier alinéa de l’article 272 du code général des impôts dispose que « La taxe sur la valeur ajoutée qui a été perçue à l’occasion de ventes ou de services est imputée ou remboursée dans les conditions prévues à l’article 271 si ces ventes ou services sont par la suite résiliés ou annulés ou lorsque les créances correspondantes sont devenues définitivement irrécouvrables. »
Le même article précise que « l’imputation ou le remboursement de la taxe peuvent être effectués dès la date de la décision de justice qui prononce la liquidation judiciaire.»
La TVA est récupérable après l’envoi d’une lettre A/R par la société créancière de la facture. Ce courrier spécifique doit porter ces mentions en caractères apparents :
« Facture demeurée impayée pour la somme de… euros (prix net) et pour la somme de… euros
(TVA correspondante) qui ne peut faire l’objet d’une déduction (CGI, art. 272) »
En cas de non-respect de ce processus strict, l’administration serait en droit de redresser. Si le compte client inclut plusieurs impayés de la même société, l’entreprise peut simplifier le processus. Elle est dispensée d’envoyer un duplicata pour chaque facture impayée, à condition de fournir, à chaque partenaire d’affaires en défaut, un état récapitulatif détaillé.
Enfin, la demande de remboursement doit être obligatoirement faite dans la seconde année qui suit celle où la TVA est récupérable.
Comment une gestion intelligente des créances peut-elle améliorer et consolider la trésorerie ?
Certes, la dépréciation puis l’irrécouvrabilité des créances clients peut réduire l’assiette fiscale applicable en aval. Néanmoins, il est fortement recommandé d’agir en amont des impayés. Cette méthode optimisera davantage la trésorerie, tout en évitant de faire face à une perte.
Adopter une démarche proactive tout au long de l’exercice comptable
Cette transformation passe nécessairement par une stratégie préventive. À travers la gestion du poste clients, celle-ci a pour but d’instaurer un véritable management de la relation client.
Elle consiste alors à détecter et anticiper les problématiques afférentes au paiement des créances. Ainsi, l’organisation est en mesure d’adopter au plus tôt toutes actions adéquates en vue d’enrayer le risque de non-recouvrement.
Une approche individualisée sera privilégiée en :
- Prenant soin de l’adapter en fonction du client, de son environnement et des caractéristiques spécifiques de son secteur dès le premier contact
- Élaborant un plan d’action à enchaînement graduel et proportionné
- Effectuant une analyse régulière de la balance âgée
Instaurée sur le long terme, cette stratégie présente plusieurs avantages. Tout d’abord, elle préserve les relations avec vos partenaires commerciaux. Ensuite, elle aide à identifier les axes d’amélioration du cycle de vente et du parcours client de l’entreprise.
Adopter une démarche proactive tout au long de l’exercice comptable
avec un expert Recouveo
Faciliter et optimiser la gestion des créances avec un logiciel de recouvrement
Pour optimiser la trésorerie, un logiciel de recouvrement de créances est recommandé, notamment quand les circonstances impliquent un volume de facturation élevé. Le recours à cet outil facilite et simplifie considérablement la relance des impayés. Il fournit, par ailleurs, la documentation nécessaire pour une éventuelle déduction fiscale en cas d’irrécouvrabilité.
La personnalisation des scénarios de relance permet, en outre, d’assurer un traitement adapté à chaque cas. Dans cette optique, l’approche sur mesure est proportionnée aux divers paramètres :
- Nombre d’impayés à traiter
- Nature de la créance
- Type de client débiteur
- Situation financière
Il est aussi particulièrement important de rédiger et mettre en place une procédure de recouvrement interne. L’objectif est de définir précisément les stratégies de relance appliquées, ainsi que les modalités de passage de dépréciation et d’irrécouvrabilité des créances clients.
En définitive, l’optimisation fiscale est surtout conditionnée à l’échec du recouvrement des créances. C’est pourquoi cette pratique suppose d’ajuster tout le cycle de recouvrement, en ciblant principalement une meilleure gestion des retards de paiement. En effet, une approche inadéquate face à ces retards peut engendrer des répercussions fiscales significatives, nécessitant identification, anticipation et maîtrise.
La maîtrise du recouvrement et du credit management s’avère essentielle, notamment pour élaborer une stratégie personnalisée et documentée, incluant des processus efficaces. Dans cette optique, une importance capitale doit être accordée à la gestion du risque client un élément fondamental dans le développement d’une entreprise. L’objectif sera de produire la documentation requise pour justifier le traitement fiscal des factures impayées.
Cette approche préventive, intrinsèquement liée aux délais d’encaissement, s’efforcera de détecter au plus tôt les signes avant-coureurs d’une défaillance. Elle interprétera ces signes à chaque étape déterminante du cycle de vente. Elle permettra, après un processus de décantation, d’évaluer l’opportunité d’entreprendre une procédure judiciaire. Adaptée aux situations les plus complexes ou récalcitrantes, elle sera en outre graduée et proportionnée.
Dès lors, cette procédure, débutera par un acte introductif, tel qu’une assignation en paiement ou une injonction de payer. Elle mènera ensuite à l’obtention d’un titre exécutoire. Enfin, elle comprendra l’exécution de ce titre par un Huissier de Justice. Tout cela se fera sous l’égide d’une analyse des frais à engager par rapport aux gains espérés.
Par conséquent, une gestion optimisée du risque client se traduira par une amélioration significative des flux de trésorerie. Parallèlement, cette approche proactive facilitera les démarches indispensables pour légitimer une déduction fiscale, une tactique d’autant plus pertinente dans le contexte d’incertitude lié au recouvrement effectif des créances.
Références : Code Général des Impôts (CGI), articles 269, 272/ Jurisprudence relative à la fiscalité des impayés
Documentation interne des entreprises sur les scénarios de relance et les modalités de passage en perte
Vous souhaitez éviter les retards de paiements et recouvrer vos créances rapidement?
Optimisons ensemble votre poste clients !
Quentin Gagneux, Juriste Recouvrement & Credit Management
Issu de différents parcours juridiques, Quentin Gagneux a développé une expertise à 360° autour de la gestion du poste clients sous le prisme du recouvrement judiciaire. Il exploite le potentiel de complémentarité et d'interdépendance des différents mécanismes afin d'élaborer des stratégies de recouvrement souples et efficaces. Cette expertise a été développée grâce à une expérience hybride auprès des Huissiers de Justice / Commissaires de Justice et cabinets de recouvrement, dont plus de 7 ans chez Recouvéo.